
Conditions de prêt SFD : Le taux d’usure de 27% souvent dépassé
Les taux d’intérêt des services financiers décentralisés (les institutions de microfinance) vont souvent au-delà de la limite autorisée par la réglementation. L’étude Diagnostique sur la Protection des Consommateurs de Services de Microfinance au Sénégal finalisée en septembre 2011 constate que les institutions de microfinance vont souvent au-delà du taux d’usure de 27% fixée par la loi. Sans le savoir, les consommateurs des services de la microfinance sont donc confrontés à cette illégalité doublée d’une injustice de manière récurrente. « La méconnaissance, écrit l’étude, par les consommateurs et le non respects par au moins une bonne partie des SFD des règles sur le taux d’usure vont à l’encontre du principe de transparence, du respect des règles de publication de l’information et de la participation active des clients. » Pourtant la réglementation est claire. Elle oblige les banques et les établissements financiers de faire mention au client de manière précise le taux effectif global (Teg), l’indicateur du coût global du prêt. Cet indicateur prend en compte tous les coûts cachés tels que les commissions, les frais de dossier lié au prêt. L’article 3 de la loi portant définition et répression de l’usure indique : « le taux effectif global d’intérêt conventionnel est le taux d’intérêt calculé en tenant compte de l’amortissement de la créance et auquel s’ajoutent les frais, les rémunérations de toute nature, y compris ceux payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt ». Elle réprime sévèrement les pratiques de taux d’intérêts qui vont au-delà du Teg. Ces pratiques sont passibles de peines de prison, d’amende et d’autres mesures répressives et dissuasives. L’article 7 stipule en effet : « sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 100.000 à 5.000.000 de F.CFA ou de l’une de ces peines seulement, quiconque aura consenti à autrui un prêt usuraire ou apporté sciemment, à quelque titre et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire ». L’article ajoute qu’en cas de récidive, « le maximum de la peine sera porté à cinq ans d’emprisonnement et à 15.000.000 de F.CFA d’amende ». L’article 8 énonce aussi que « le tribunal peut ordonner la publication de sa décision aux frais du condamné dans les journaux qu’il désigne, ainsi que sous toute forme qu’il appréciera ; la fermeture provisoire ou définitive de l’entreprise qui s’est livrée ou dont les dirigeants se sont livrés à des opérations usuraires, assortie de la nomination d’un administrateur ou d’un liquidateur ». Le même article poursuit : « en cas de fermeture provisoire, le délinquant ou l’entreprise doit continuer à payer à son personnel, les salaires et indemnités de toute nature auxquels celui-ci a droit. Cette durée ne saurait excéder trois mois.
En cas de récidive, la fermeture définitive sera ordonnée ». Malgré ces dispositions, les institutions de microfinance qui s’adonnent à ces pratiques ne sont pas sanctionnées conformément aux peines énoncées dans la loi. Le diagnostic de l’enquête recommande même de ne pas appliquer strictement ces dispositions sous peine de faire disparaitre certains services financiers décentralisés. Il écrit « qu’une application stricte et soudaine de la réglementation sur le taux d’usure pourrait provoquer l’effondrement d’institutions qui travaillent dans des zones reculées et qui servent des populations sans autre accès aux services financiers. Afin de mettre en conformité le droit et la pratique, et de prévenir un risque d’effondrement du volume de crédit à la clientèle, il serait utile de revisiter le niveau actuel du taux d’usure ». L’étude souligne d’ailleurs que la nouvelle législation et réglementation des SFD, la BCEAO dispose de plus de pouvoir pour faire respecter et de sanctionner le taux d’usure en ce sens qu’ « elle contrôle d’ailleurs le TEG et le coût du crédit lors des missions d’inspection qu’elle effectue et, depuis 2010, dès la demande d’agrément en tant que SFD ».
L’application va entrainer d’après les auteurs de l’enquête une sélection plus stricte des crédits qui aura pour conséquence d’exclure les microcrédits et des services de microfinance dans les zones rurales reculées. Ce qui entrainera « des coûts de gestion relativement élevés ». En plus il y aura une baisse de la rentabilité (voire faillite) d’un bon nombre de SFD, ce qui ferait porter davantage de risques pour la protection des dépôts. Il s’y ajoute, d’après le rapport, que certaines institutions seront contraintes de disparaitre du secteur en ce sens que le respect du plafond du taux d’usure les mettrait dans une situation intenable d’incapacité à couvrir l’ensemble de leur coût de gestion. En effet, selon un expert du secteur la fixation du taux d’intérêt dépend de quatre facteurs. Les Sfd sont obligés d’emprunter dans le marché interbancaire à des taux élevés ce qui ne les permet pas de prêter à un taux moins élevé. Les charges de fonctionnement et d’exploitation sont également prises en compte dans le calcul du taux d’intérêt. Ils doivent aussi évaluer la solvabilité des clients ainsi que les garanties proposées. D’où cette remarque de l’enquête « les dispositions sur l’usure constituent une menace juridique majeure pour les SFD ne respectant pas le plafond de 27 %. Certes, dans un contexte d’inflation basse (moins de 5 %) cela laisse une marge de plus de 20 points aux SFD. Dans la pratique, le niveau de taux constaté, qui est souvent supérieur à 27%, devrait être comparé au coût de gestion de deux types de crédit : les microcrédits et les crédits dans les zones rurales caractérisées par une faible densité de population et des coûts de gestion très élevés ».
Cela dit, selon notre expert, les Sfd ne respectent pas également toutes les mesures de transparence édictées par la législation et la réglementation. Car il arrive souvent qu’ils fassent porter les coûts de leur gestion inefficace aux clients. Sur un autre registre, un client qui ne sait pas lire, dit-il, doit être accompagné par deux témoins certificateurs c’est-à-dire deux témoins qui savent lire et écrire. Une règle basique allègrement violée. Les Sfd violent aussi sciemment, dans le bus d’abuser du consommateur, les dispositions de la loi liées à la publicité de leurs conditions de prêt en l’occurrence cette disposition qui les oblige « d’afficher, de manière visible à l’entrée de leurs locaux et à leurs guichets, la liste détaillée des conditions débitrices et créditrices qu’ils appliquent à leur clientèle, y compris les commissions. Ils doivent illustrer par un exemple représentatif, la méthodologie de calcul du taux effectif global d’intérêt appliqué aux crédits à la clientèle (…) en grand format et en caractères d’imprimerie suffisamment visibles, en particulier le titre « Conditions débitrices et créditrices applicables par l’établissement X ».
L’étude révèle que ni les clients, ni les dirigeants des Sfd ne semblent être pas au courant des règles, instruments et procédures de mise en œuvre de la politique de la monnaie et du crédit de la BCEAO. Elle révèle aussi que « 55,9% des bénéficiaires de crédit en cours disent qu’ils ne connaissent pas le taux d’intérêt qu’ils payent (…) plus de 64% de clients bénéficières de crédit en cours ignorent la méthode utilisée par leur institution pour le calcul du taux d’intérêt ».
Pour corriger les erreurs surtout préjudiciables aux consommateurs, il est recommandé que des mécanismes de recours interne et externe (presque inexistants à l’heure actuelle) soient mis en place afin de traiter les réclamations et régler les différends. En attendant, les Sfd semblent jouir, dans la pratique, d’une impunité sous le regard des autorités chargées de faire appliquer la loi.

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