
Opération assainissement dans le secteur de la Microfinance
Le développement fulgurant de la microfinance au cours des ces dernières années a généré beaucoup de dysfonctionnements au niveau du secteur. Ces défaillances sont principalement relevées dans la gouvernance de la plupart des institutions de microfinance du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest. « Près du quart des systèmes financiers décentralisés (Sfd) de l’Union monétaire ouest africaine dégagent structurellement des résultats déficitaires. Il en résulte qu’un nombre élevé des Sfd ne sont pas viables, certains d’entre eux n’assurant leur équilibre financier qu’à travers un appui extérieur. » Comme mentionné dans l’exposé des motifs, c’est dans ce constat d’une gouvernance souvent déficitaire que s’origine la loi n°2008-47 du 03 septembre 2008 portant réglementation des Sfd sénégalais. Sur les raisons de la non viabilité des ces institutions de microfinance, on indique comme facteurs : « Le non-respect des dispositions législatives, réglementaires et statutaires ; les faiblesses dans l’étude des dossiers d’autorisation d’exercice ; la défaillance du système d’information de gestion reflétée par la faible fiabilité des états financiers de certains Sfd et la non-disponibilité, dans les délais requis, de l’information financière ». S’ajoutent à ces dysfonctionnements « la faiblesse des mécanismes internes et externes de surveillance et des insuffisances dans le suivi des recommandations formulées à l’issue des contrôles. » Une situation « à la base de la multiplication des cas de fraudes et de malversations financières », renseigne la même loi indiquant : « L’importance de ces dysfonctionnements a rendu nécessaire la mise en œuvre d’action convergentes pour circonscrire les risques ainsi identifiés et, partant, sécuriser davantage les transactions. Les projets de loi et de décret proposés par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) constituent l’une des actions à mettre en œuvre pour remédier à ces manquements. »
Au Sénégal, la nouvelle loi a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 21 juillet 2008 puis par le Sénat le lendemain, et promulguée le 03 septembre 2008. Quant au décret d’application, il a été signé le 28 novembre 2008. A la lecture de ce texte, il est notoire que cette loi qui organise désormais le secteur de la microfinance est porteuse de changements majeurs. Il s’agit principalement de l’instauration d’un régime unique d’autorisation d’exercice (agrément), ayant comme implication la suppression des Groupements d’épargne et de crédits (Gec) et de toute structure sous convention. D’autre part, avant tout exercice, l’avis conforme de la Bceao dans la délivrance de l’agrément est désormais obligatoire. Il s’y ajoute que les institutions qui ont atteint un certain niveau d’activité sont sous la surveillance de la Banque centrale et de la Commission Bancaire. Autre innovation de taille de la loi : la certification obligatoire des comptes pour les Sfd d’une certaine taille, l’adhésion obligatoire à l’Association Professionnelle ou encore la possibilité de créer des Sfd de type Société Anonyme.
Aussi dans le but de permettre aux Gec et aux institutions bénéficiant de convention de se conformer aux dispositions de la loi, un délai de deux ans leur a-t-il été fixé comme indiqué dans les dispositions transitoires de la nouvelle loi, notamment en son article 107. « Les dispositions relatives aux groupements d’épargne et de crédit ainsi qu’aux institutions assujetties au régime de la convention-cadre sont abrogées. Ces institutions disposent d’un délai de deux (2) ans, à partir de la date d’entrée en vigueur de la loi, pour se conformer à ses dispositions », est-il écrit.
Voila donc que trois ans après son entrée en vigueur la loi fait ses premières victimes. Toutes les structures qui ne se sont pas conformées à la nouvelle réglementation et qui ont des formes juridiques qui n’existent plus sont dissolues. Pour l’heure, on est passé de 800 institutions à 238 Sfd. « Le nombre actuel pourrait être revu à la baisse », indique Souleymane Sarr, formateur à la Cgap (Groupe consultatif d’assistance aux pauvres) qui révèle que seront dissoutes toutes les institutions qui bénéficiaient d’une reconnaissance et non d’un agrément en bonne et due forme. « Les Mutuelles d’épargne et de crédit (Mec) sans agrément seront fermées, les Mec agrées mais non fonctionnelles seront également liquidées », fait aussi savoir Sarr, soulignant que les bénéficiaires de convention de reconnaissance qui n’ont pas d’agrément seront accompagnés dans le dépôt de l’agrément. Plus généralement, tous les Sfd qui n’ont pas les moyens de leur mission et les mutuelles non viables seront dissoutes.
Intérêt des épargnants
De l’avis de la Directrice de la réglementation et de la supervision des Systèmes financiers décentralisés (Sfd), Mame Boury Ngom Tall, le retrait de l’agrément de ces institutions du secteur de la microfinance s’explique par des engagements non tenus par ces dernières. Pour Mme Tall cité par l’Aps, « il y a un régime unique de l’agrément pour les Sfd qui, nécessite dorénavant, pour exercer, un agrément en bonne et du forme, a signalé Mme Ngom qui a rappelé que, jadis, la signature de la convention était précaire dans la mesure où la durée légale ne pouvait pas dépasser cinq ans ». Argumentant dans le même sens, la Directrice de la réglementation et de la supervision des Sfd explique « qu’après trois ans d’application de la réglementation et après un processus d’assainissement du secteur, les agréments des institutions qui ne fonctionnaient plus devaient être retirés ». Elle ajoute : « Également il fallait appliquer la réglementation en ce qui concerne les groupements d’épargne et de crédit qui ont été supprimés de par la loi ». Non sans noter qu’il fallait avoir une compréhension commune à ce niveau avec le secteur judiciaire. Car, à l’évidence, la dissolution de ces centaines d’institutions doit se faire en ayant à l’esprit la préservation des intérêts des épargnants. D’où cette volonté de transmettre l’information aux différentes juridictions compétentes dans la perspective de la liquidation des ces structures. « Nous voulons que toutes les juridictions soient informées et qu’elles s’approprient la réglementation afin de nous accompagner par rapport aux liquidations qui sont en cours », annonce Mme Tall conformément à l’Article 83 qui énonce : « La décision de dissolution entraîne la liquidation de l’institution. Elle doit être assortie de la nomination d’un ou plusieurs liquidateurs par l’assemblée générale extraordinaire lorsque la dissolution est volontaire, par le ministre ou le tribunal, selon les cas, s’il s’agit d’une dissolution forcée. »
Sans nul doute cette mesure va également toucher certains grands réseaux tels que CMS, Pamecas, URMECS qui disposaient de caisses et des Gec affiliés mais non agréés. Pour Souleymane Sarr par ailleurs responsable des Etudes et du Développement de ACEP, il leur appartient de choisir la stratégie qui convient : soit demander un agrément pour ces caisses ou les transformer en guichets rattachés à une mutuelle agréée. « La nouvelle loi autorise l’ouverture d’agences et de guichets rattachés à un Sfd agréé », fait remarquer Sarr qui précise toutefois qu’une déclaration préalable est nécessaire rappelant que cette option participe d’une plus grande rationalisation et d’une plus grande efficacité dans la gestion d’un réseau.
Il faut signaler qu’avec l’entrée en vigueur de cette loi, les Systèmes financiers décentralisés sont assujettis à des obligations de transparence. En effet, la loi rend aussi obligatoire la publication par les Sfd et à leur frais, de leurs états financiers dans le Journal Officiel ou dans au moins deux journaux locaux à large diffusion. En outre, l’octroi de l’agrément prononcé par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances après avis conforme de la Bceao est soumis à un certain nombre de conditions auxquelles les Sfd doivent se soumettre. « Tout système financier décentralisé doit produire un rapport annuel au terme de chaque exercice social. (…) Les rapports et états financiers annuels ainsi que les documents annexés des systèmes financiers décentralisés sont communiqués au Ministre et à la Banque Centrale, dans un délai de six (6) mois suivant la clôture de l’exercice », indique-t-on.
Déserts bancaires ?
S’il demeure évident que ce coup donné à la fourmilière de la microfinance accusée d’appauvrir davantage les populations démunies en appliquant des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que la somme du coût des fonds et des coûts de distribution, il est à craindre cependant que les zones les plus reculées, zone par excellence d’exercice des Gec ne deviennent des déserts bancaires comme avant l’avènement des Sfd. « Il faut veiller à ce que ce projet d’assainissement qui est salutaire n’en rajoute pas à la désertification bancaire. L’accès aux services financiers pour tous requiert un réseau de proximité sur toute l’étendue du territoire », prévient l’expert Souleymane Sarr. Mesurant les possibles risques d’isolement du monde rural, il est toutefois d’avis que les grands réseaux comme Acep, Cms, Pamecas ou Microcred Sa sont obligés de s’y déployer pour combler le vide laissé par les institutions dissoutes. Une vraie aubaine pour ces grands réseaux.
Prise au nom de la protection des épargnants et de l’efficacité de la lutte contre la pauvreté, cette nouvelle loi suscite d’innombrables commentaires mais également beaucoup d’espoir. Mais, pour beaucoup, elle carillonne à l’heure dite. Seulement, tous veulent croire à l’efficacité sociale d’une telle mesure qui entend faire de la gouvernance le fondement des Systèmes financiers décentralisés. Vaste chantier !

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